Les propriétés électroniques remarquables des systèmes bidimensionnels (graphène, MoS2) ont conduit à d’importants efforts pour tenter de synthétiser des systèmes similaires à base de silicium, matériau par excellence de la microélectronique. Mais impossible d’exfolier du silicium massif dont la structure est celle du diamant ! En revanche, la croissance d’une couche de silicium sur un substrat d’argent semblait être une piste prometteuse car ces deux éléments sont totalement immiscibles. Des transistors ont même été annoncés... Pas si simple. En effet, des chercheurs de l’INSP et de l’IMPMC ont montré que l’interaction entre Si et Ag est loin d’être négligeable et que lors du dépôt, le Si creuse littéralement son trou sur la surface pour venir former une couche de « silicène ». |
Le silicène est, à la manière du graphène, un feuillet d’atomes de silicium organisés en réseau « nid d’abeille ». Depuis que des calculs ab initio ont prédit son existence, avec des propriétés électroniques analogues à celles du graphène, un grand nombre d’études expérimentales ont été réalisées pour tenter de le synthétiser. Si des couches 2D cristallines ont bien été obtenues, notamment sur Ag(110) et Ag(111), leur nature (silicium uniquement ou alliage Si-Ag) et leur structure font encore débat. Lors de précédents travaux[1], nous avons montré que sur Ag(110) et Ag(111), le substrat se reconstruit au cours du dépôt et des atomes d’argent sont expulsés de la surface. Ceci remet en cause l’idée d’une couche exclusivement composée d’atomes de silicium interagissant faiblement avec le substrat. Afin de préciser les mécanismes de croissance du système Si/Ag(111) nous avons suivi in situ, par microscopie à effet tunnel, son évolution au cours du dépôt de silicium entre 200 et 500 K.
Ces observations nous ont permis de mettre en évidence des modes de croissance très différents suivant la température du substrat. A 500 K, les atomes de Si diffusent et s’ancrent sur les bords de marche, puis des îlots 2D se forment (voir figure 1). Ces îlots font progressivement apparaître les structures cristallines 4x4 et √13x√13-R13.9° habituellement identifiées comme du silicène. L’élément le plus remarquable lors de la croissance à cette température est l’apparition dans un second temps de nouvelles terrasses d’argent (voir figure 2). Ce phénomène montre que la formation des îlots s’accompagne de la libération d’atomes du substrat et donc de l’insertion des atomes de silicium dans le substrat. à 300 K, on observe encore que le Si s’insère dans la surface en remplaçant des atomes d’Ag mais les îlots sont de plus petite taille et moins bien ordonnés. à 200 K, le phénomène d’insertion est bloqué et les îlots observés, vraisemblablement composés exclusivement de silicium, sont totalement désordonnés.
La mesure de la densité d’îlots en fonction de la température du substrat montre l’existence d’une compétition entre deux modes de croissance : à basse température, la croissance des îlots s’effectue par diffusion des atomes de silicium sur la surface et nucléation de dimères de Si, alors qu’à haute température les atomes de silicium s’insèrent dans la première couche du substrat avant de diffuser pour faire croître les îlots. Le maximum observé à température ambiante correspond à l’insertion des atomes de silicium et à leur immobilité une fois qu’ils sont insérés. Ce processus d’insertion d’un atome de silicium dans le substrat est confirmé par des calculs DFT montrant qu’il est énergétiquement favorable.
Ces observations nous ont permis de préciser le mécanisme de croissance du système Si/Ag(111) et ont en particulier montré l’importance du phénomène d’insertion des atomes de silicium dans le substrat. La prochaine étape consistera à déterminer précisément la structure cristalline de ce système à partir de mesures de diffraction des rayons X en incidence rasante (GIXD). L’analyse de ces mesures devra impérativement prendre en compte les modifications du substrat induites par le mode de croissance ainsi que la possible participation directe des atomes d’argent à certaines des structures observées. En parallèle, nous allons explorer d’autres substrats susceptibles d’interagir moins fortement avec les atomes de silicium et donc plus à même de conduire à la formation d’une couche 2D exclusivement composée de silicium.
[1] G. Prévot et al., Applied Physics Letters, 105, 213106 (2014)
R. Bernard et al., Physical Review B, 88, 121411(R) (2013)
Référence
« Growth mecanism of silicene on Ag(111) determined by scanning tunneling microscopy measurements and ab initio calculations »
R. Bernard, Y. Borensztein, H. Cruguel, M. Lazzeri and G. Prévot
Physical review B, 92, 0454415 (2015)
http://dx.doi.org/10.1103/PhysRevB.92.045415
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Romain Bernard