Déjà utilisé dans les vitrages auto-nettoyants ou les cellules solaires à colorants, le dioxyde de titane TiO2 sous irradiation lumineuse est un matériau prometteur pour la purification de l’air et de l’eau ou pour la production d’hydrogène par « water splitting ». Ses propriétés photo-catalytiques particulières sont intimement liées aux électrons, dits en excès, produits par l’absorption d’un photon ou par une sous-stœchiométrie. Dans le cas de la forme réduite TiO2-x, les lacunes d’oxygène ou les atomes de titane interstitiels, très étudiés sur la face (110) du polymorphe rutile, jouent un rôle primordial. De façon apparemment antinomique, en raison de la distorsion polaronique induite, les électrons en excès associés contribuent à la conductivité du matériau et à l’apparition d’un état dans la bande interdite vu en photoémission. Mais jusqu’à présent, la réelle contribution des atomes interstitiels à cet état restait plus que controversée. Pour aborder cette question fondamentale pour ce matériau, des chercheurs de l’équipe « Oxydes en basses dimensions » l’INSP ont utilisé la spectroscopie de pertes d’énergie d’électrons à haute-résolution, une technique devenue bien rare… |
L’HREELS (High Resolution Electron Energy Loss Spectroscopy) est une spectroscopie vibrationnelle de surface fondée sur l’illumination sous vide d’un substrat par un faisceau d’électrons monochromatique de quelques eV d’énergie cinétique, suivie de l’analyse des pertes d’énergie des particules réfléchies avec une résolution de quelques meV. L’électron sur son trajet peut échanger des quanta d’énergie avec toutes les excitations de surface, de type plasmon, phonon, transitions interbande et état dans la bande interdite.
Les chercheurs de l’INSP se sont focalisés sur ces derniers (Bang Gap States : BGS) dans le cas de la surface TiO2(110) du rutile. Les lacunes sur les rangées d’oxygène pontants (Figure 1-a) bien caractérisées par microscopie champ proche y contribuent incontestablement. Mais la difficulté pour faire le distinguo entre lacunes de surface et titanes interstitiels de sous-surface est liée à l’apparente similitude de leurs signatures spectroscopiques et à la profondeur sondée par les techniques utilisées jusqu’à présent (microscopie à effet tunnel ou photoémission). Un premier indice provient de la composante résiduelle des BGS qui subsiste même après une exposition conséquente à l’oxygène qui est connu pour guérir les lacunes de surface (Figure 1-b,c). Pour distinguer les deux contributions, une méthode originale de chauffage in situ de la face avant du cristal analysé, par un filament, a été utilisée avec un contrôle précis de la température de surface au travers de la statistique de Bose-Einstein du rapport gain/perte phononique. L’augmentation progressive et en racine carrée du temps du signal BGS à 400 K a été attribuée à la diffusion des titanes interstitiels, car dans ces conditions, les lacunes ne se forment pas. Pour confirmer cette hypothèse, des cycles de recuits à différentes températures, suivis par des expositions à l’oxygène ont permis d’obtenir une surface exempte de BGS résiduels en raison d’une déplétion de la sous-surface en interstitiels et de leur réoxydation. De façon similaire, la contribution aux BGS des lacunes de surface a pu être isolée grâce à la création de défauts superficiels par bombardement électronique à des énergies précises, combinée à l’interaction avec l’eau.
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Exposition d’un surface TiO2(110) réduite (R-TiO2) à l’oxygène : a) Structure atomique de la surface TiO2(110) étudiée. En bleu, les atomes de Ti, en rouge ceux d’O. Les défauts principaux apparaissent sur la figure : lacune de surface (Ob-vac), titane interstitiels (Tiint), groupement hydroxyle (ObH). b) Evolution du spectre HREELS des états dans le gap (BGS) lors de l’exposition progressive à de l’oxygène moléculaire. c) Son intensité intégrée à 100 K et 300 K.
Fort de ces « recettes » de préparation de surfaces dont les BGS sont dominés par un seul type de défaut, l’analyse en fonction de l’angle de détection a permis d’estimer le profil en profondeur des BGS (Figure 2-a,b). La variation de transfert de moment parallèle à la surface peut être associée, dans la vision diélectrique de l’interaction, à une profondeur sondée effective. Au-delà de l’absence de charges en extrême surface, la surprise a été de découvrir que le profil des BGS ainsi que son comportement dispersif étaient indépendants de la nature des défauts. Les charges en excès sont localisées en sous-surface (ce point est en parfait accord avec des résultats passés obtenus par photodiffraction résonante, Phys. Rev. Lett. 100 (2008) 055501 et 108 (2012) 126803) et l’absence de dispersion au-delà d’une valeur seuil (Figure 2-c) peut être interprétée comme le rayon du polaron associé.
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a) Evolution de l’intensité hors-spéculaire des BGS qui permet par un calcul de profondeur diélectrique sondée (encart) de remonter au b) profil en profondeur et c) à la dispersion de l’état. Les BGS des surfaces réduites (R-TiO2) viennent majoritairement des lacunes d’oxygènes, ceux des surfaces chauffées par la face avant des cristaux (A-TiO2) ont pour origine principale les ions titane interstitiels.
Au-delà de cette compréhension de l’origine et du profil des électrons en excès qui permet de réinterpréter des expériences jusque-là apparemment contradictoires, ce travail se poursuit au travers de l’étude de la corrélation entre les états dans la bande interdite et les propriétés de transport des polarons, et ceci en fonction de la nature du polymorphe de TiO2 (anatase vs rutile). Pour ce faire, les modélisations diélectriques des spectres HREELS sont alors mises à l’œuvre.
Références
« Contributions of oxygen vacancies and titanium interstitials to band-gap states of reduced rutile », Jingfeng Li, Rémi Lazzari, Stéphane Chenot, Jacques Jupille, Phys. Rev. B Rapid Comm., 97, 041403(R) (2018)
https://journals.aps.org/prb/abstra...
« Origin, location and transport of excess charges in titanium dioxide », Jingfeng Li, PhD thesis University Pierre and Marie Curie (2016)
« Spectral restoration in reflection energy electron loss spectroscopy based on iterative semi-blind Lucy-Richardson algorithm applied to rutile surfaces », Rémi Lazzari, Jingfeng Li, Jacques Jupille, Rev. Sci. Instrum., 86, 013906 (2015)
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