Le polydiacétylène (PDA) est un polymère conjugué possédant des propriétés optiques extrêmement intéressantes et utiles sur lesquelles reposent les mécanismes de détection d’entités chimiques et biologiques diverses (ions, molécules, nanoparticules, protéines d’enveloppe virale...), mis en œuvre dans différentes classes de capteurs à base de films minces ou de vésicules [1]. Dans le cadre de l’optimisation de ces capteurs, des chercheurs de l’équipe « Nanostructures et systèmes quantiques » de l’INSP ont imaginé et fait la preuve de principe d’un protocole de détection permettant d’augmenter la sensibilité d’environ un ordre de grandeur. Le signal détecté n’est plus fourni par la chaîne de PDA elle-même mais par un émetteur moléculaire (chromophore) en interaction avec la chaîne. Les deux états « on » et « off » du capteur correspondent à deux états « noir » et « brillant » du chromophore qui sont déterminés par l’intensité du couplage à la chaîne, qui elle reste la sonde de l’environnement. |
Les capteurs que nous avons étudiés sont des films minces polycristallins de quelques microns d’épaisseur obtenus par recristallisation lente d’un fondu à la surface d’une lame de quartz. Le matériau initial est l’unité monomère (diacétylène) de la chaîne de PDA ; sous irradiation UV, les monomères réagissent et les chaînes se forment au sein du film en phase solide. Les unités diacétylènes sont préalablement fonctionnalisées par ingénierie chimique [2], en greffant à l’une de leur extrémité un chromophore luminescent de petite taille (émetteur tétrazine ou Tz) afin de limiter l’encombrement stérique qui pourrait nuire à la réaction de polymérisation. Ainsi, dans les chaînes de PDA générées, tous les groupements latéraux correspondant à un « côté » de la chaîne sont des émetteurs Tz placés à distance contrôlée du squelette conjugué (Figure 1). L’autre « côté » est disponible pour accueillir un ligand servant de transpondeur (groupe R) et répercutant le stimulus, de type « nano-mécanique », sur le squelette. L’action induite entraîne une modification de la structure électronique du squelette de la chaîne et, en parallèle, une modification du couplage électromagnétique entre la chaîne et l’émetteur qui bascule d’un état « noir » - non luminescent - à un état « brillant » où il recouvre ses propriétés d’émission.
Dans notre travail, la transition électronique des chaînes est induite par variation de la température, ce qui permet de court-circuiter l’étape impliquant le transpondeur. La chaîne transite entre sa structure dite « bleue » (obtenue par l’irradiation initiale), qui est absorbante dans la partie rouge du spectre visible, et sa structure « rouge » qui, elle, absorbe le rayonnement entre 400 et 540 nm. Les deux types de chaînes ont été parfaitement identifiés avant et après traitement thermique par des expériences d’absorption optique et de diffusion Raman pré-résonnantes (Figure 2).
Fonctionnement du capteur
Nos expériences montrent que la luminescence du chromophore Tz est fortement éteinte par transfert d’énergie radiatif lorsqu’il y a recouvrement entre son émission et l’absorption de la chaîne à structure bleue. Sous illumination homogène, une concentration d’accepteurs (chaînes bleues) inférieure à 1% en masse, dans le film est suffisante pour éteindre quasi-complètement la luminescence de la population d’émetteurs Tz. Inversement, les propriétés d’émission du chromophore sont parfaitement restaurées lorsque la conversion bleue → rouge est réalisée (Figure 3). Dans le protocole que nous proposons, la détection est opérée à partir de la luminescence de l’émetteur tétrazine qui peut être bien plus intense que celle de la phase rouge de la chaîne de polydiacétylène. Ainsi, une « amplification » de l’émission (au moins un ordre de grandeur) est obtenue par rapport à la situation où c’est la luminescence de la phase rouge seule, qui est mesurée comme c’est le cas dans l’immense majorité des capteurs.
La transition bleue → rouge est très rarement réversible de sorte que le capteur ne peut être régénéré. En revanche, la fabrication de nouvelles chaînes bleues est possible et un cycle d’utilisation du capteur peut reprendre, indépendamment de la présence des chaînes rouges déjà présentes, et ce, jusqu’à épuisement des sites possibles pour la polymérisation.
En résumé, nous avons établi un nouveau protocole consistant à utiliser les états électroniques du système π-conjugué de la chaîne de polydiacétylène comme médiateur des interactions entre une population de chromophores et l’environnement. Nous démontrons qu’une amélioration significative des performances d’une classe de capteurs peut maintenant être envisagée sur la base de ce protocole.
Parmi les perspectives d’études vous pouvons citer, d’une part, la fabrication d’un capteur opérationnel par substitution, dans le diacétylène étudié, d’un ligand transpondeur connu et estimation des performances du dispositif « en situation », et, d’autre part, le rôle de la dimensionnalité sur la force du couplage donneur (chaîne de chromophores Tz) - accepteur (chaîne de PDA) et détermination du rayon de Förster associé au transfert (distance donneur - accepteur pour laquelle la probabilité de transfert d’une excitation depuis le donneur vers l’accepteur est identique à la probabilité de désexcitation spontanée du donneur).
Référence
« Reversible Quenching of a Chromophore Luminescence by Color Transition of a Polydiacetylene »
Barisien, T (Barisien, Thierry) ; Fave, JL (Fave, Jean-Louis) ; Hameau, S (Hameau, Sophie) ; Legrand, L (Legrand, Laurent) ; Schott, M (Schott, Michel) ; Malinge, J (Malinge, Jeremy) ; Clavier, G (Clavier, Gilles) ; Audebert, P (Audebert, Pierre) ; Allain, C (Allain, Clemence)
ACS APPLIED MATERIALS & INTERFACES Volume : 5 (Novembre 2013)
Contact
Thierry Barisien
Notes
1- S. Okada, S. Peng, W. Spevak, D. Charych, Acc. Chem. Res. 1998, 31, 229-239 ; X. Chen, G. Zhou, X. Peng, J. Yoon, J. Chem. Soc. Rev. 2012, 41, 4610-4630.
2- La fonctionnalisation du monomère diacétylène utilisé dans ce travail a été réalisée dans le cadre d’une collaboration menée avec l’équipe « Molécules et matériaux électroactifs et à propriétés optiques remar quables » du PPSM de L’ENS Cachan.
3- J.-S. Filhol, J. Deschamps, S.G. Dutremez, B. Boury, T. Barisien, L. Legrand, M. Schott, J.
Am. Chem. Soc. 2009, 131, 6976-6988.