Le processus d’adsorption de gaz dans les matériaux poreux est généralement irréversible. A ce jour, les modèles qui prévalaient pour expliquer ce phénomène étaient basés sur l’idée simple que la désorption d’un fluide contenu dans un solide poreux ne pouvait se faire, que par la création d’un chemin de vapeur de la périphérie du matériau à l’intérieur. Mais les chercheurs de l’INSP viennent de montrer expérimentalement, pour la première fois à l’échelle nanométrique, que la désorption d’un fluide se fait par cavitation et que, la nucléation de bulles de gaz a lieu à la surface des parois des pores, non dans le volume du liquide. Concepts de propagation de ménisques et de percolation revisités : un pas vers une meilleure compréhension du mécanime de désorption des solides poreux !
Jusqu’à présent, le mécanisme de désorption était lié à la structure poreuse, via deux modèles correspondant à deux géométries extrêmes. Si le solide est composé de pores à section constante, parallèles entre eux, il n’y a pas d’obstacle à l’évaporation qui se fait alors à l’équilibre thermodynamique, par la propagation de ménisques concaves (voir figure 1). Dans les solides poreux désordonnés composés de cavités séparées les unes des autres par des étroitures, ce sont les étroitures qui contrôlent (effet ’pore-blocking’) l’évaporation, hors d’équilibre, des cavités. Les étroitures sont censées se vider par la propagation de ménisques et les cavités par un phénomène de percolation (voir figure 2).
Pour tester le concept de base de propagation de ménisques, les chercheurs de l’équipe « Couches nanométriques : formation, interfaces et défauts » ont donc réalisé des études d’adsorption isotherme d’azote à 77,4 K dans des couches duplex de silicium poreux de type Si/B/A, où les pores de la couche poreuse A, sont en moyenne plus étroits que ceux de B. (voir figure 3)
Dans cette configuration, la couche B se vide à travers la couche A restée pleine, ce qui indique qu’elle se vide via la nucléation de bulles de gaz. La pression du liquide au moment de la cavitation ( - 4,5 MPa) est très inférieure numériquement, à la pression prévue par la théorie de la nucléation homogène (-15 MPa). Les pores de B se vident donc par nucléation hétérogène de bulles de gaz à la surface des parois et non dans le volume du liquide comme cela était supposé dans toutes les études publiées jusqu’à présent. Conclusion : il n’y a pas d’effet ’pore-blocking’ [1].
L’angle de contact θ entre un solide et une interface liquide-vapeur à l’intérieur d’un pore est lié à la structure des interfaces solide-liquide et solide-vapeur par la relation cos(π−θ) = (γsl- γsv)/γlv où γsl , γsv et γlv sont les énergies de surface correspondant aux interfaces solide-liquide, solide-vapeur et liquide-vapeur. Cet angle étant supérieur à π/2 pour une bulle de vapeur à la surface d’une paroi, la structure des interfaces solide-liquide et solide-vapeur est telle, que la différence (γsl-γsv) est positive. Or, les énergies de surface sont intimement liées à l’état de déformation du solide dont les scientifiques ont montré l’influence significative sur le processus d’adsorption par des approches thermodynamique et expérimentale [2, 3]. γsl et γsv variant en sens opposé à celui de la déformation du solide, le signe positif de (γsl-γsv) est en accord avec les déformations des matériaux poreux qui se contractent en présence d’un liquide sous tension et se dilatent en présence d’un adsorbat. La déformation élastique des matériaux poreux favorise la nucléation hétérogène de bulles de gaz et interdit la propagation de ménisques concaves (angle de contact inférieur à π/2) à l’intérieur d’un pore, hypothèse de base des modèles existants qui sont, de facto, invalidés.
Les chercheurs de l’INSP ont montré, pour l’azote et l’argon, que ce résultat est valable également à des températures inférieures au point de fusion.
Enfin, dans le cas de l’argon solide, ils ont observé pour la première fois, directement, la métastabilité d’une phase dense confinée dans des pores : le vidage des pores de B déclenche le vidage d’une partie des pores de A.
Le problème de la nucléation hétérogène est complexe puisqu’il dépend de la géométrie du matériau poreux, tout aussi complexe. Ainsi, même si les pores sont modélisés par des cylindres, le chemin de la nucléation ne préserve pas nécessairement la symétrie cylindrique, de sorte que le problème n’a pas de solution analytique mais devra être résolu numériquement.



Pour en savoir plus
[1] A. Grosman & C. Ortega, Langmuir 27, 2364 (2011).
[2] A. Grosman & C. Ortega, Phys. Rev. B 78, 085433 (2008).
[3] A. Grosman & C. Ortega, Langmuir 25, 8083 (2009).